Il est grand temps que nos politiques - d'autant plus en cette année pré-électorale - prennent véritablement la mesure des besoins, des attentes, des potentiels des habitants ruraux. Que leurs programmes, justement, intègrent les problématiques de nos campagnes non pas en les traitant avec le modèle qui conduit à l'impasse d'un rayonnement urbain vers les périphéries, mais au contraire, partir de nos territoires ruraux, créatifs et innovants, capteurs d'un développement intrinsèque.
Une fois de plus il ne s'agit pas d'opposer le monde des villes à celui des champs, mais bien de prôner un modèle nouveau d'aménagement d'une France encore trop centralisée.
Pierre Bonté, grand connaisseur de nos campagnes pour les avoir sillonnées pendant des années s'est exprimé dans une tribune de la revue "36 000 communes" de mars 2016 :
36 000 communes en France... Presque autant que dans tout le reste de l'Europe ! Quelle aberration, dans un pays moderne !»
J'en ai assez d'entendre ce discours systématiquement répété par les économistes et politiques de tous bords et repris en choeur par les médias parisiens.
Comment leur faire comprendre que la multiplicité de nos communes n'est pas un handicap mais une richesse ? C'est une spécificité française, certes, mais qui contribue à donner à notre pays son visage et son caractère particulier, original... et qui mériterait d'être protégée par l'inscription des 33 000 communes rurales au patrimoine de l'humanité !
De la même façon que l'Unesco a classé, l'an dernier, les 1 247 «climats» (parcelles) du vignoble de Bourgogne.
Préserver notre découpage communal
Non, je ne délire pas. Quand je lis le dossier de candidature des Bourguignons, je constate que la plupart des arguments invoqués pour demander le classement des climats pourraient être réutilisés pour justifier la préservation de notre découpage communal : «Accolés les uns aux autres comme les pièces d'un grand puzzle, les climats forment une mosaïque de crus uniques... Chacun possède son histoire, son nom, son goût...»
Nos villages millénaires, tous uniques eux aussi, tous différents, n'ont-ils pas droit au même respect de leur identité ? Comme les climats, ils sont le «conservatoire vivant» d'un art de vivre que le monde entier nous envie.
Et l'intérêt d'un village ou d'un climat n'a rien à voir avec sa taille. Le vin le plus cher du monde, la Romanée Conti, est produit sur l'un des plus petits clos de Bourgogne (1,8 ha).
Les communes nouvelles « des familles recomposées »
«Œuvre conjuguée de l'homme et de la nature, les climats sont une construction culturelle...», font également valoir les vignerons. C'est aussi vrai des villages, dont le paysage a été façonné par les hommes et qui forment une communauté originale, complexe, dont les liens se sont lentement tissés au fil des siècles, de génération en génération.
Je ne crois guère aux «communes nouvelles» - dernière invention des technocrates - qui me font penser à ces «familles recomposées» dans lesquelles les enfants ont bien de la peine à garder leurs repères. En brisant la cellule de base, on détruit quelque chose qui relève de l'affectif et qu'on ne comble pas avec des compensations financières. Au final, c'est l'équilibre moral de notre société qui risque d'en être encore un peu plus fragilisé.
36 000 communes classées à l'Unesco
Il faut adapter notre organisation territoriale aux exigences de l'époque, bien sûr, mais les communautés de communes ont été conçues dans cet esprit et elles remplissent leur rôle de mieux en mieux.
Pourquoi ne pas leur faire confiance et préserver ce trésor humain : le sentiment d'appartenance et d'attachement à une commune - si petite soit-elle - qui génère une somme incalculable d'énergies et de bonnes volontés, à l'échelle du pays ?
On appartient à une commune mais elle nous appartient aussi, un peu... C'est un «chez soi» rassurant, sécurisant, au sein duquel chacun peut assouvir son désir de reconnaissance. C'est à la fois un héritage et une chance à protéger.
La réduction du nombre des communes permettrait, entend-on, de faire des économies ? Plaisanterie ! Les besoins resteront les mêmes. Et quand on sait que l'indemnité mensuelle de la majorité des maires ne dépasse pas 580 euros...
Il en faudra, des fonctionnaires, pour faire le travail qu'ils accomplissent sans compter les heures, par simple amour du clocher, avec leurs 400 000 conseillers municipaux bénévoles !
Selon l'UNESCO, l'inscription des climats du vignoble de Bourgogne au patrimoine de l'humanité est aussi «une réponse aux menaces de standardisation des goûts liées à la globalisation des marchés»... « une manière de défendre la diversité ».
Le classement de notre mosaïque de villages s'inscrirait dans le même combat.
Ce serait une nouvelle façon d'affirmer que la modernité n'est pas forcément synonyme de concentration, que les grandes lois de l'économie ne s'appliquent pas nécessairement à l'administration d'un territoire.
La commune doit rester cet échelon de proximité et cet élément de stabilité dont la France a besoin pour garder sa place unique et son image attractive dans un monde de plus en plus déboussolé.
PIERRE BONTE
Journaliste, écrivain, animateur, Pierre Bonte s'est fait connaître grâce à son émission radio «Bonjour Monsieur le Maire » puis à la télévision en intégrant l'équipe du « Petit rapporteur » avec Jacques Martin.