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2 mai 2015 6 02 /05 /mai /2015 11:53
Nuremberg 4 : Dix fois la trappe s'ouvrit

 

La prison de Nuremberg joue de malheur.

 

Les commentaires allaient leur train. Où se lamenter sur la mort prématurée du bras droit de Hitler, le temps passait.

 

 

A une heure du matin, un officier de sécurité nous conduisit par le même couloir que nous venions d’emprunter deux heures avant, sur les lieux où les criminels nazis allaient être exécutés.

 

 

Des M.P., coiffés du casque d’airain de cérémonies et gantés de blanc, formaient la haie : dans quelques instants, les condamnés à mort allaient fouler ces mêmes cailloux qui crissaient sous nos pieds.

 

 

Le lieu de la pendaison, une salle de gymnastique éclairée par douze grosses ampoules, 33 pas de long, 18 de large. Tel est l’espace contenant les trois potences, les deux bourreaux, la trentaine de témoins -tout à l’heure- les dix cadavres.

 

 

Les murs blancs, les fenêtres bouchées par du papier noir, des tables pour les journalistes, des chaises, tout cela eut été terriblement banal s’il n’y avait pas eu les trois échafauds noirs, silhouettes tracées avec des poutres, des voiles et des cordes. Deux des potences seulement ont servi ; la troisième était en réserve.

 

 

Un agencement « modèle »

 

 

Cet agencement fut sans doute le chef-d’œuvre de l’organisation américaine. Songez que deux personnes seulement en connaissaient l’existence douze heures avant le verdict ; une centaine environ ont connu l’emplacement à l’heure même du châtiment. Les trois furent montées en 48 heures par des spécialistes venus de loin. Donc, dans cette salle que l’on aurait pu utiliser, en d’autres temps, pour une distribution de prix aux élèves d’un collège, dix des grands criminels nazis allaient mourir à quatre pas de nous.

 

 

A notre droite, se trouvaient déjà, lorsque nous sommes entrés les quatre généraux, l’américain, l’anglais, le russe et le français, leurs interprètes, les médecins et les officiers du service de sécurité.

 

 

Au pied des potences

 

 

Au pied des marches qui mène aux potences, l’aumônier de la prison, un franciscain dont le visage pur de saint se crispera tout à l’heure, le pasteur et des soldats de garde.

 

 

En haut, les deux bourreaux en tenue de soldats américains, s’affairent autour.

 

 

Près de la porte, encore des gardes, commandés par un officier. En tout une quarantaine de témoins auxquels se sont joints deux allemands : le président du Gouvernement bavarois et ministre de la justice William Hoegner, et le procureur général au tribunal de Nuremberg, le docteur Leistner.

 

 

Nous prenons place face aux potences et le film de tragique commence à se dérouler.

 

 

A 1h10, un léger glissement. Le bruit d’une porte qui s’ouvre. Elle s’ouvre, cette porte, si naturellement que je m’attends avoir paraître un retardataire. Or, c’est Ribbentrop qui, le premier ouvre le défilé macabre. On défait ses menottes et on lui lie aussitôt les mains avec la cordelette noire qui nous intriguait tout à l’heure. Yeux clos, le visage émacié, c’est déjà un cadavre qui s’avance d’un pas d’automate. De sa poche, dépasse des enveloppes que je regarde fixement et une idée me torture dans ce silence crispant : que peut-il bien avoir voulu emporter avec lui dans la tombe ?

Mais déjà l’officier de garde, selon le rite, lui demande de décliner son nom : « Joachim von Ribbentrop », répondit-il, et il s’écrit en montant les 13 marches, soutenu par deux soldats « que Dieu sauve l’Allemagne ! »

 

 

Un bruit sourd

 

 

Le voici sur la plate-forme, sur la trappe qui va s’ouvrir dans quelques instants :

« Puis-je ajouter encore quelque chose ? » interroge-t-il.

« Yes » - « Mon dernier vœux, c’est que se réalise l’unité de l’Allemagne et l’union entre l’Est et l’Ouest de l’Europe et que la paix règne sur le Monde. ».

 

 

Le bourreau lui passe le capuchon noir sur la tête, lui glisse le nœud autour du cou, tire le levier et, avec un bruit sourd — un bruit qui bourdonne encore à mes oreilles à l'heure où j'écris ces lignes — le corps de l’ex-ministre des Affaires Etrangères du Reich tombe dans le vide, derrière un voile qui nous cache ses derniers soubresauts. II est 1 h 15, toute la procédure et l'exécution n'ont duré que trois minutes et demie. De longues, de très longues minutes.

 

 

Voici Keitel

 

 

La corde oscille encore et déjà Keitel calme et résolu apparaît dans l'encadrement de la porte. Lui, il a le regard fixé sur la corde qui l'attend sur l'autre potence.

 

« Avez-vous quelque chose à dire, avant votre mort ?»

 

« J'appelle la protection de Dieu sur le peuple allemand. Plus de deux millions de soldats sont morts avant moi pour leur patrie. Je rejoins maintenant mes fils. Tout pour l'Allemagne ! »

Avant de mourir, il se penche vers le prêtre : « Je vous remercie, mon Père ».

 

Keitel est mort courageusement.

 

 

Maintenant, ce sont les deux cordes qui ont contracté ce mouvement de balancier, les médecins sont appelés à constater le décès. A 1 h 35, on emporte, sur les civières, les deux corps qui sont provisoirement déposés derrière un rideau, à l'autre bout de la salle. Le bourreau, d’un coup sec, coupe les cordes, en accroche de nouvelles.

 

 

Je m'excuse de ces détails macabres, nous étions là pour cela.

 

 

Pendant le va-et-vient des civières, nous respirons nerveusement une bouffée de cigarette; nos nerfs ont besoin d'une détente.

 

 

Le tortionnaire des camps

 

 

Mais, de nouveau, la porte s'ouvre. Nous nous dressons et voici le tortionnaire Kaltennbrunner.

 

 

Il est blanc. Non, verdâtre. Les balafres d'étudiant de son visage sont autant de traînées sanguinolentes. Pourtant, sa face est ferme quand il déclare :

« J'ai aimé mon peuple et mon pays. J'ai fait mon devoir vis-à-vis de ma patrie, dans les heures difficiles. Je n'ai pas participé aux crimes que l'on me reproche ».

 

 

Le Père franciscain dit la prière des mourants. Il est 1 h 39. Les martyrs des camps de concentration sont vengés.

 

 

La voix blanche de Rosenberg

 

 

Rosenberg, pâle, mais impassible, décline son nom d'une voix blanche.

 

 

Et toujours le même rite. L'interprète demande : « Avez-vous une dernière déclaration à faire ?»

« Non » répond le théoricien du parti nazi.

 

 

Il ne jeta pas un regard sur le prêtre qui priait à ses côtés. Frank a une grimace, que l'on pourrait prendre pour un sourire sarcastique, et qui n'est que la contraction des muscles qui se rebellent devant la mort. Une voix, que l’on entend à peine, prononce ces mots :

« Je vous remercie pour vos bons soins pendant ma captivité et je prie Dieu de me prendre sous sa sainte garde. » Puis il murmure une prière avec le prêtre.

 

 

Et le défilé continue

 

 

Vêtu d'un veston à carreaux et de son pantalon brun que nous avons vu sur lui durant tout le procès, Frick s'écrie en gravissant les marches, d'une voix retentissante : « Que vive l'éternelle Allemagne ! »

 

 

Streicher refuse de dire son nom

 

 

Streicher eut la fin qu'il méritait. Dès son entrée, il proféra des phrases sans suite, d'une voix qui alla crescendo : « Heil Hitler ! »

L'officier lui demanda de décliner son nom : « Vous le savez » cria-t-il. A la troisième demande : «Bon, dit-il. Julius Streicher. Et maintenant je vais à Dieu. C’est le pourim, la fête juive. 1946 ! Maintenant à Dieu... Les Bolcheviks vous pendront aussi un jour... ».

 

 

Ce n'est que lorsqu'il sentit la cagoule sur sa tête qu'il eut un cri humain : « Adèle, ma Chère femme».

 

 

Mais il était dit qu'il aurait une fin atrocement ignominieuse. On ne sait pour quelle raison, peut-être sa langue se coinça-t-elle entre ses dents, mais on entendit encore, une minute après que la corde se fût raidie, un râle étouffé, le cri de mort d’une bête prise au piège.

 

 

Après cette dure épreuve de nos nerfs, nous craignions l'entrée de Saukel. Ce petit homme chauve, qui fut le négrier de l'Europe, est mort discrètement : « Je meurs innocent, le verdict est injuste. Que Dieu protège l'Allemagne et ma famille.»

 

 

Je te salue, mon Allemagne...

 

 

Jodl, dans son uniforme de général, sans décorations, mais gansé de rouge, s'écria simplement : « Je te salue, mon Allemagne ».

 

 

Le dernier condamné à mort, Seiss-Inquart, fait, en boitillant, les six pas qui le séparent des marches. Il décline son nom d'un ton de professeur épelant un mot difficile. Et c'est encore un tardif appel à l'union et à la paix : « J'espère que ces exécutions seront le dernier acte de la tragédie de la deuxième guerre mondiale. L'enseignement de cette guerre est que la paix et la compréhension doivent régner entre les nations. Je crois en l'Allemagne. »

 

 

Pour la dernière fois, nous entendîmes le bruit de la trappe qui s'ouvrait. Il était alors 2h 46. Les dix exécutions ont duré exactement 1h 35. Les minutes passaient et personne ne donnait le signal du départ.

 

 

Gœring fait son entrée, raide sur une civière...

 

 

La porte s'ouvrit enfin, et, porté sur une civière, le corps de Goering fut déposé entre les deux potences pour identification. Nous revîmes pour la dernière fois le visage de celui qui fut un ambitieux sans scrupules, un politicien retors et l'une des figures les plus typiques de l'esprit nazi.

 

 

Ces traits durcis, ce n'était plus le visage alourdi du hobereau qui nous étonnait par sa faconde durant le procès. C'était un visage grave, le visage d'un mort.

 

 

Peut-être certains regretteront-ils que la mort de ces criminels nazis fut, plutôt qu'un supplice, une sorte d'opération chirurgicale empreinte de gravité...

 

 

Mais non, je suis convaincu que le monde respirera plus librement en apprenant qu'il s'est accompli ce matin 16 octobre, à Nuremberg, non pas un geste de vengeance, mais un acte de justice.

 

 

Les cadavres ont été incinérés

 

 

Un communiqué a fait savoir que les cadavres des dix suppliciés et celui de Gœring ont été incinérés et leurs cendres dispersées dans un lieu tenu secret. Quant aux cordes ayant servi à l'exécution et que certains collectionneurs s'étaient proposé d'acheter pour des sommes fabuleuses, elles ont été brûlées.

 

 

Sacha SIMON.

 

Almanach 1947, l'Est Républicain

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