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2 mai 2015 6 02 /05 /mai /2015 11:47
Nuremberg 3 : la dernière nuit des condamnés


MARDI soir, à 20 heures, nous étions convoqués par le colonel Andruss, chef du Service de sécurité du Palais de Justice. Nous, c'est-à-dire les huit journalistes accrédités pour assister â l'exécution : Gingell, de « L'Exchange Telegraph »; Panton, du « Daily Express »; Klingebury Smith, de « L'International New Service », Arthur Gaeth, du « Broadcasting Service »; Termin, de la « Pravda »; Afanasiev, de 1 « Agence Tass », Deroche, de l'« Agence France-Presse », et Sacha Simon, de « L’Est Républicain ». Nous ne devions quitter la prison que le lendemain, à 6 heures du matin, après l'exécution des chefs nazis (16 octobre 1946).

 

 

En attendant l'heure fixée, on nous fit visiter la prison.

 

 

Nous avons vu la salle dans laquelle les avocats rencontraient, tous les soirs, leurs clients. Curieuse installation qui rappelle un bureau de poste par ses guichets encastrés dans les isoloirs ou encore la véranda d'une maison de campagne par les grillages se détachant sur le fond vert des parois de séparation.

 

 

Par un long couloir longeant la façade intérieure du palais, on nous mena dans l'aile qui abrite encore, à l'heure où nous l'avons visitée, les condamnés à mort.

 

 

Deux portes de fer à franchir, quelques marches à monter, un papier à remettre et nous voici dans ce couloir où des journalistes pénètrent pour la première fois. Nous voici à quelques centimètres de l'intimité des grands criminels nazis. C'est leur dernière nuit, leurs dernières heures et ils ne s'en doutent pas encore.

 

 

De chaque côté de l'immense couloir qui, avec ses étages grillagés, rappelle l'intérieur des prisons américaines, des M P. figés devant une lucarne. Un peu plus bas, un œil-de-bœuf dans lequel est encastré un projecteur. Nuit et jour, le moindre geste des accusés était surveillé, guetté.

 

 

La première lucarne me livre la silhouette basse de Saukel rôdant dans la cellule nue. Il a une chemise brune, un pantalon étroit qui lui serre les mollets. Il tourne, il tourne inlassablement entre les quatre murs. Dans la cellule voisine, Frank, assis sur le lit fume un cigare. Frick, Kaltenbrunncr à côté, lisent. Keitel, d’un geste qui doit lui être familier, arrange les plis de la couverture de son lit. Où est-elle l'image du vainqueur arrogant ? Ce n'est plus qu'un vieillard amer qui, les bretelles pendantes, s'apprête à dormir pour la dernière fois.

 

 

Deux personnes occupaient la cellule voisine : Ribbentrop, à genoux au pied de son lit, priait, ayant à ses côtés le « chaplain » de la prison. II leva les yeux. Un regard vide, mort, ce regard d'un être moralement et physiquement vidé.

 

 

Seiss Inquart se brossait les dents, le dos voûté, gris et terne. Sur une table couverte de feuilles de papier, Jodl écrivait sans lever la tête. Il était 21 h 30. Rosenberg, Streicher et Gœring dormaient. Je n'ai vu d'eux que des corps étendus, déjà des cadavres.

 

 

Les soldats chargés de surveiller les condamnés avec une attention de tous les instants font deux heures de service et se reposent quatre heures, cela pendant vingt-quatre heures Puis ils se reposent vingt-quatre heures.

 

 

La boite en carton de Von Neurath et la valise en parchemin de Gœring

 

De là, on nous conduit dans les différents services de la prison, à l'infirmerie, à la bibliothèque où un registre soigneusement tenu permettra aux historiens de connaître les goûts littéraires des chefs nazis. A la cuisine, nous avons pu voir que le menu, pour sobre qu'il soit, est pourtant composé d’aliments appétissants et bien préparés.

 

 

Pour leur dernier repas, les condamnés ont eu de la salade de pommes de terre, de la saucisse, du pain et du thé. Au début, ils avaient la ration des prisonniers de guerre. On s'est aperçu qu'ils maigrissaient et on les a mis au régime des travailleurs de force. Ce n'est pas par égard pour leurs intéressantes personnes, a précisé le colonel Andruss, mais pour éviter qu'ils ne tombent malades avant la fin du procès. On avait trop besoin d'eux aux audiences.

 

 

Dans deux cellules dont la paroi de séparation a été abattue, on a aménagé une chapelle qui servait à tour de rôle pour des offices catholiques et protestants. Seul Rosenberg n'y assistait pas.

 

 

Nous avons fait connaissance du docteur allemand Flueker qui, avec la maitrise que lui donnent quarante ans de pratique, soignait les accusés ; nous avons vu les « prisonniers modèles allemands qui ont été transférés de la prison de Mondorf-les-Bains à celle de Nurernberg où ils occupent les postes de cuisiniers, bibliothécaires et magasiniers

 

 

On nous a montré enfin les bagages des condamnés, des valises de toutes les tailles, de tous les tons, les valises insolentes en parchemin blanc de Gœring, le bagage pauvre de von Neurath arrêté avec un carton de colis américain à la main, les deux valises noires de Ribbentrop, derniers vestiges d'un passé mort.

 

 

L'invraisemblable suicide de Gœring

 

 

Il est minuit. « Messieurs, j'ai le regret de vous apprendre que Gœring vient de se suicider dans sa cellule. »

 

 

Telle fut l'incroyable nouvelle que nous annonça, d'une voix blanche, à minuit précis, le colonel Andruss, chef du service de sécurité du palais.

 

 

Nous venions de visiter l'intérieur de la prison. Nous avions vu, à 22 heures, le chef de la Luftwaffe dormant - ou faisant semblant de dormir - sur son lit de camp. Nous sortions du hangar transformé en salle d'exécutions capitales. La nouvelle nous bouleversa comme elle bouleversa le monde entier. Ainsi, par une fatalité insistante, cinq des principaux chefs nazis : Hitler, Himmler, Gœbbels, Gœring et Bormann, présumé en fuite, échappent, sinon à la mort; du moins au châtiment infamant.

 

 

Ainsi, pour la deuxième fois dans cette prison de Nuremberg, dont nous venions justement d'admirer l'impeccable organisation, deux prisonniers, à un an d'intervalle, se donnent la mort.

 

 

Ley s'est pendu dans sa cellule un mois avant le début du procès. Aujourd'hui, c'est Gœring qui, un mois après la dernière audience, absorbe du cyanure de potassium.

 

 

C'est à 23 h. 45 que la sentinelle chargée de le surveiller a entendu des râles. Elle prévint immédiatement l'officier de garde, qui lui-même fit appel au docteur et à l'aumônier. Tous deux arrivèrent trop tard : Gœring venait de rendre 1e dernier soupir.

 

 

On a trouvé, au pied du lit, une douille métallique de quelques centimètres de long qui contenait l'ampoule de poison foudroyant. L'autopsie du corps, faite immédiatement, ne permit que de constater le décès et amena la découverte de quelques éclats de verre dans la bouche de Gœring. Il avait laissé sur la table une enveloppe contenant trois lettres dont une pour le chef du service de sécurité.

 

 

Le colonel Andruss nous déclara qu’il ne comprenait pas comment le poison a pu se trouver entre les mains de Goering. Pourtant, il a rappelé que, lors de la détention de celui-ci à Mondorf-les-Bains, on avait déjà découvert du cyanure que Gœring essayait de dissimuler dans une boîte de café en poudre.

 

 

Sacha SIMON.

 

Almanach 1947, L’Est Républicain

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