C’est la première fois que nous commémorons la journée de la déportation. Pourtant, deux des enfants de Pagny sont morts en déportation. Je connais leurs noms depuis bien des années, retrouvés au fil de mes pérégrinations sur internet à la recherche de documents et de renseignements sur Pagny. Oubliés depuis des dizaines d’années, il ne fallait pas qu’ils passent à la trappe du temps qui court.
J’ai fait graver leurs noms sur une plaque maintenant apposée à notre monument aux Morts.
Oubliés depuis longtemps, disais-je. Pas tout à fait, parce que dans notre population, certains se souviennent encore et pour cause. Un père déporté, un frère déporté, un cousin déporté. Cela ne s’oublie pas, même si cela s’est passé il y a plus de 70 ans. Ils étaient bien jeunes à l’époque. Ils n’ont pas bien compris ce qui se passait. Ils ont tous une histoire à la fois semblable et différente. Leur jeunesse a été imprégnée par cette tragédie. Ils sont aujourd’hui associés à cette commémoration même s’ils ne sont pas forcément liés à nos deux déportés. Ils sont parmi nous, témoins d’un autre temps.
Permettez-moi de vous rapporter les quelques éléments en ma possession.
Nos deux déportés s’appelaient Priouret Albert et Jacob Gilbert.
Albert Priouret est né à Pagny le 17 août 1898.
Policier à Toul, arrêté à Trondes lors des rafles de la mi-août 1944 en représailles des attaques du maquis de Trondes, interné à la prison Charles III de Nancy, emmené le 19 août 1944 à Natzweiler Struthof Matricule 23 050, évacué vers lecamp de concentration de Dachau, le 4 septembre 1944,puis tranféré vers le camp de concentration de Mauthausen, le 14 septembre 1944, où 46 déportés de ce transport sont immatriculés dans la série des « 97000 » et des « 98000 ». C’est le cas d’Albert Priouret Matricule 98930. Il a été intégré tout de suite dans le Kommando de Melk en Autriche où il décède le 2 janvier 1945. La mortalité a été très importante puisque sur les 46 déportés de Dachau à Mauthausen, 35 meurent, dont 26 à Melk.
La reconnaissance de la Nation est venue par le JO du 18 avril 1998 lui attribuant la mention « Mort en déportation ».
M. Priouret habitait rue du faubourg, sa maison a été détruite à la guerre tout au début de la rue.
M. JACOB Gilbert est né le 23 septembre 1920 à Pagny sur Meuse. Je sais peu de choses sur les circonstances de son arrestation et sa déportation.
Il a fait partie du convoi du 25 juin 1943 au départ de Compiègne à destination de Buchenwald en Allemagne où il est enregistré sous le matricule: 14 725.
Premier convoi parti de Compiègne pour le camp de concentration de Buchenwald, il rassemblait 999 hommes arrêtés et internés pour des motifs différents. Refus du service obligatoire du travail, activités anti-allemandes, tentatives de passage de la frontière espagnole constituent autant de raisons pour être appréhendé par les autorités allemandes et françaises.
Il est décédé le 24 mars 1944 dans le camp de DORA, camp de concentration (et non d’extermination) dépendant de Buchenwald et destiné à la construction des fusées A4 puis des missiles V2.
Il apparait au JO du 16 juillet 1994 avec la mention « Mort en déportation ».
La déportation fut une implacable machine à déshumaniser, à exterminer hommes, femmes et enfants au nom d’une idéologie. Avec la collaboration du gouvernement de Vichy et de l’État français, plus de 140 000 personnes ont été déportées : parmi elles la moitié environ était des juifs. Seulement 3% d’entre eux ont survécu. L’autre moitié était tsiganes, homosexuels, communistes, résistants, opposants. Au total, ce sont plus de 100 000 déportés français qui ne revinrent pas. Quand on évoque le bilan de la déportation en chiffres, on oublie, parfois, l’essentiel : ce sont des individus, des pères, des amis, des voisins, des collègues, qui ont été stigmatisés, déportés, affamés, torturés, assassinés.
« Il importe de ne pas laisser sombrer dans l’oubli les souvenirs et les enseignements d’une telle expérience, ni l’atroce et scientifique anéantissement de millions d’innocents, ni les gestes héroïques d’une grand nombre parmi cette masse d’hommes soumise aux tortures de la faim, du froid et de la vermine, … » Cette phrase n’est pas de moi. C’est un extrait de l’exposé des motifs de la loi n°54-415 du 14 avril 1954, consacrant le dernier dimanche d'avril au souvenir des victimes de la déportation et morts dans les camps de concentration et qui a été votée à l’unanimité par le Parlement.
Nos deux déportés n’ont pas été oubliés. Cette cérémonie leur est dédiée ainsi qu’à ceux qui ont approché cette période noire.